Perplexité d’un virologue retraité face au SARS-CoV-2

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Un scénario préécrit

Pour un virologue français retraité, le SARS coronavirus-2 (SARS-CoV-2), agent responsable de la maladie Covid-19, suscite évidemment de nombreuses interrogations.

Au début de l’épidémie pourtant, l’affaire paraissait entendue. Cette épidémie est une émergence virale due au passage d’un virus d’origine animale dans l’espèce humaine, comme cela est survenu à intervalles réguliers dans l’histoire de l’humanité et illustré par les exemples récents du sida en 1981, du SARS en 2003, de la grippe pandémique H1N1 en 2009 et du MERS en 2012. C’est même une réussite émergentielle au sens où l’entendait le regretté Claude Chastel. Cela veut dire que le virus émergent SARS-CoV-2 s’est trouvé, d’emblée ou après quelques mutations initiales, parfaitement adapté à l’homme et va l’infecter de façon endémique pendant de longues années, à l’instar du HIV-1, agent du sida ou du virus de la grippe pandémique 2009. Par ailleurs, le fait qu’il s’agisse d’un coronavirus lui donne presque un air familier pour les virologues médicaux. Dans cette famille virale, on connaît déjà quatre autres coronavirus humains désignés sous les noms peu engageants de 229E, NL63, OC43 et KHU1, agents responsables de rhumes, considérés comme peu pathogènes et finalement peu connus.

On connaît davantage les coronavirus du SARS (SARS-CoV-1) et du MERS (MERS-CoV) qui ont fait la une de l’actualité au cours des deux dernières décennies du fait de la gravité des maladies respiratoires associées. Mais, en fin de compte, ces deux-là n’ont pas réussi leur émergence : le coronavirus du SARS a disparu de la circulation dès 2004 et celui du MERS ne donne que des infections sporadiques. Contrairement à ce que pourrait suggérer la proximité des noms fondée sur des similitudes génétiques, le SARS-CoV-2 et le SARS-CoV-1 ont des propriétés différentes chez l’homme : le SARS-CoV-2 est moins pathogène mais sa transmission interhumaine est beaucoup plus facile comme cela est observé de façon incontestable depuis 3 mois. Trois conséquences sont prévisibles pour le virus. Il a une faible probabilité de muter lors de sa transmission interhumaine du fait de sa bonne adaptation à son nouvel hôte (mais dans le domaine des coronavirus, rien n’est sûr). Il va provoquer, lors de son premier passage chez l’homme, une pandémie inéluctable et de grande ampleur puisque toute la population mondiale, en l’absence d’immunité collective préalable, est sensible à l’infection. Il va infecter durablement l’espèce humaine dans les années qui suivront et, d’une certaine façon, on peut parier qu’il y rejoindra le club des coronavirus humains « gentils » et peu connus.

Le SARS-CoV-2, virus à tropisme respiratoire comme les autres coronavirus humains, paraît transmis de façon classique par les aérosols et gouttelettes respiratoires produites lors de la respiration et de la toux ainsi que par les mains souillées que l’on porte au visage après une contamination par les sécrétions respiratoires, un support inerte lui-même contaminé et, peut-être pour certains sujets excréteurs par voie digestive, les matières fécales. La pandémie de Covid-19 a démarré en Chine en décembre 2019 et s’étend à partir de ce foyer initial à la faveur de la grande densité et de la grande mobilité de la population mondiale actuelle. Elle présente beaucoup d’analogies avec la pandémie grippale H1N1 de 2009 qui avait démarré apparemment à partir de porcs mexicains et provoqué officiellement 20.000 décès au niveau mondial à son terme, valeur probablement très sous-estimée et qu’on a un peu oubliée depuis. Une différence notable cependant entre les deux pandémies est que la pandémie de 2009 est survenue chez une population mondiale déjà infectée à de multiples reprises par d’autres souches grippales, situation qui peut donner lieu, dans certaines conditions, à une forme de protection croisée.

On sait qu’on peut lutter contre de telles pandémies en ralentissant leur propagation mais on ne peut empêcher ni leur survenue ni leur progression à terme quoi qu’on fasse. Les moyens efficaces pour les ralentir sont aussi connus et principalement individuels : lavage des mains, prévention de la transmission des aérosols et des gouttelettes respiratoires par le port de masques et la distanciation sociale, solution extrême du confinement chez soi pendant plusieurs semaines. Les moyens collectifs sont d’efficacité plus discutée : évitement des situations de rencontres interhumaines aléatoires et rapprochées tels que les grands rassemblements et l’usage des transports en communs, fermeture des écoles. Une fois démarrée la pandémie et en l’absence d’une situation géographique favorable.

d’autres mesures de prévention globales tel que l’isolement d’une région ou la fermeture des frontières ont probablement une efficacité encore moindre. Pour les pays qui le mettent en action, le ralentissement a l’avantage de ménager un peu les structures sanitaires en phase aiguë, notamment les services d’urgences, de soins intensifs et de réanimation, ainsi que le fonctionnement économique général mais l’inconvénient de prolonger la durée de l’épidémie, exposant aux rebonds à court terme et sur des périodes plus longues.

Quoi qu’on fasse également, la pandémie s’arrête toujours d’elle-même quand une immunité collective s’est constituée au sein de la population exposée. L’émergence d’une sous-population humaine résistante à l’infection doit pour cela atteindre un niveau suffisant pour bloquer l’efficacité de la transmission. Les valeurs de 50 à 70% d’infection de la population générale sont souvent mentionnées pour définir ce seuil de protection mais il est probable que cela dépend grandement de la dynamique de la pandémie et que de telles valeurs ne sont pas toujours nécessaires. Ainsi, pour l’épidémie de chikungunya à la Réunion en 2005-2006, donnée ici comme exemple mais particulière par sa géographie et sa transmission par les moustiques, il a suffi que 30 % de la population de l’île ait été infectée pour que l’épidémie s’arrête. L’arrêt survient plus ou moins vite selon le virus et la politique sanitaire, les mesures individuelles et collectives de prévention accélérant évidemment cette interruption mais selon une efficacité qui est variable et difficile à mesurer. Au sein d’une population donnée, la durée d’une épidémie d’infection virale aiguë respiratoire, de propagation rapide, est classiquement de l’ordre de 3 mois, couvrant la phase d’ascension, le pic et le reflux.

Le taux de mortalité global rapporté au nombre total de cas d’infection d’une telle pandémie est faible, de l’ordre de 0,1%, si on prend comme référence approximative la mortalité des épidémies grippales des dernières décennies. Cette faible mortalité globale est en accord avec le fait qu’un virus donnant une infection aiguë très létale provoque rarement une épidémie mondiale à propagation rapide, la transmission efficace du virus impliquant un grand nombre de sujets infectés vivants et disséminateurs du virus. Il s’agit en effet d’une transmission interhumaine directe sans réservoir animal ou vecteur intermédiaires. Classiquement, cette mortalité touche préférentiellement les sujets fragilisés par l’âge et/ou des comorbidités dans un contexte de déficit immunitaire ou de déficit fonctionnel général. Moins fréquemment, cette mortalité concerne également des sujets jeunes en apparente bonne santé avant la maladie, le mécanisme physiopathologique étant alors, schématiquement et paradoxalement, une réaction inflammatoire trop intense et incontrôlée
Voilà esquissé le cadre classique attendu de cette pandémie.

Des doutes raisonnables

Alors que la pandémie à SARS-CoV-2 s’inscrit peu ou prou dans ce scénario stéréotypé attendu, depuis quelques jours, le même virologue retraité et maintenant confiné est envahi par le doute. Pourquoi ?
Une des raisons est la pression médiatique qui s’exerce sur tous les citoyens français sans exception par le biais de la radio, de la télévision, de la presse écrite et des réseaux sociaux autour de cette épidémie. L’information est délibérément orientée vers le catastrophisme, avec les titres axés sur la mortalité de la maladie, les mesures politiques les plus spectaculaires, et les déficits d’organisation des mesures préventives au détriment d’une tentative de compréhension des mécanismes physiopathologiques de l’infection. Il faut reconnaître que ce dernier sujet est peu porteur mais le relevé quotidien de la mortalité et des difficultés sanitaires dues au SARS-CoV-2 en Italie, ce pays voisin, européen, frère, est proprement insoutenable.

Une autre raison est la pression politique marquée par des mesures de prévention de plus en plus coercitives alors que leur pertinence peut être discutée et que leur variabilité dans le temps est de nature à nuire à leur mise en application et à leur crédibilité. Verbaliser un promeneur solitaire sur une plage française est conforme aux consignes gouvernementales et vise à inciter à plus de civisme mais son impact direct sur la propagation de la pandémie est absolument nul. Empêcher à tout prix l’entrée du SARS-CoV-2 dans un EHPAD est en revanche un acte crucial et indispensable.

La raison majeure des doutes du virologue est plus professionnelle. C’est la méconnaissance persistante du nombre total de cas d’infection et de son évolution dans le temps, indépendamment de la présentation clinique des personnes concernées et de leur prise en charge médicale. De l’avis de nombreux virologues et infectiologues, ce nombre, qui ne figure sur aucun rapport et pour aucun pays, serait beaucoup plus élevé, peut-être de 10 à 100 fois, que le nombre de sujets confirmés positifs. Le décalage est lié aux limites des méthodes diagnostiques utilisées. Le diagnostic moléculaire spécifique par RT-PCR est le seul qui puisse actuellement affirmer sans conteste la réalité de l’infection à SARS-CoV-2 en phase aiguë. La spécificité de la technique est indispensable car il faut distinguer l’infection à SARS-CoV-2 des autres infections virales respiratoires (grippe, virus VRS, autres coronavirus…). Or, le diagnostic par RT-PCR souffre de nombreuses contraintes : il est relativement onéreux (autour de 50 € par test) ; sa mise au point est récente et la technique de RT-PCR, pratiquée à grande échelle, exige un relatif savoir-faire qui n’est effectif que dans des laboratoires spécialisés ; sa sensibilité n’est pas de 100%, ce qui implique l’existence de faux-négatifs. Pour information, un laboratoire de virologie médicale d’un CHU français, déjà bien entraîné pour le diagnostic moléculaire des autres infections virales, effectue actuellement de 150 à 400 tests SARS-CoV-2 par jour, ce qui est énorme en termes de temps de travail et de personnels impliqués dans sa pratique d’autant que les autres infections virales (sida, hépatites, infections des immunodéprimés) revêtent aussi un caractère prioritaire pour le diagnostic. En conséquence et en pratique, le diagnostic de l’infection à SARS-CoV-2 est actuellement restreint aux cas cliniquement graves et leurs contacts, introduisant un formidable biais dans l’appréciation de la pandémie.

Répétons que la connaissance du nombre total de cas d’infection est indispensable pour une bonne évaluation de la pandémie en temps réel, évaluation qui conditionne la réponse sanitaire et la réponse politique des pays concernés. Pour l’Italie le 20 mars par exemple, il n’est pas équivalent de dire que les 3405 décès observés jusque-là correspondent aux 41035 personnes testées positives ou aux 4 millions de personnes déjà infectées (valeur imaginaire mais nullement irréaliste) à cette date. Il faut rappeler que le modèle classique de la population infectée dans une épidémie due à un virus respiratoire est une pyramide ou un iceberg, selon le contexte climatique que l’on préfère. Le sommet de la pyramide ou la partie émergée de l’iceberg correspondent aux formes cliniquement évidentes, dont une minorité de formes graves et une minorité encore plus petite de formes fatales. La base de la pyramide ou la partie immergée de l’iceberg sont constituées des formes asymptomatiques et paucisymptomatiques très largement majoritaires. L’ensemble de la population infectée produit du virus et participe ainsi à sa transmission à la population sensible, avec là-encore une contribution majoritaire des personnes asymptomatiques et paucisymptomatiques. L’existence de sujets superdisséminateurs, comme cela a été décrit pour le SARS-CoV-1, est susceptible de moduler ce schéma de transmission mais, dans une émergence réussie comme celle du SARS-CoV-2, ce phénomène n’intervient vraisemblablement qu’à la marge, si tant est qu’il existe. Dès la phase aiguë de l’infection terminée, les personnes asymptomatiques et paucisymptomatiques majoritaires vont devenir le socle de personnes immunes résistantes à toute nouvelle infection qui va permettre l’arrêt de la transmission de l’épidémie. Nul ne peut dire quel est l’effectif actuel de ce socle de résistance dans aucun pays touché par l’infection à SARS-CoV-2. Il est en particulier crucial de savoir si les enfants, qui font très peu de maladies graves dues à ce virus et donc passent systématiquement sous le radar de la détection par RT-PCR, sont souvent infectés et transmetteurs du virus. C’est probable car c’est le cas pour la grippe et de nombreuses autres infections virales communautaires. C’est d’ailleurs l’hypothèse qui justifie la fermeture des écoles. Dans ce cas, les enfants devraient être considérés comme un moteur essentiel de la propagation de l’épidémie actuelle, tout comme les adultes infectés asymptomatiques ou paucisymptomatiques et les infections de ces deux groupes absolument prises en compte.

C’est absolument impossible actuellement et il faut craindre que notre évaluation de la situation épidémique, fondée uniquement sur le décompte des patients symptomatiques, soit très en retard par rapport à la propagation réelle du virus sur le terrain.
Il est légitime d’encourager dès maintenant le développement de moyens thérapeutiques contre l’infection à SARS-CoV-2, qu’il s’agisse de vaccins ou de molécules antivirales, cela dans le but de prévenir ou soigner les formes d’infection les plus graves. Cependant, les délais de mise au point, de développement et de validation d’un vaccin ou d’antiviraux spécifiquement actifs contre le SARS-CoV-2 paraissent incompatibles avec l’urgence d’une maîtrise de l’épidémie actuelle. Le calendrier est plus favorable pour l’utilisation de médicaments anti-infectieux déjà présents sur le marché et dirigés soit contre des cibles moléculaires virales partageant des analogies avec les molécules spécifiques du SARS-CoV-2 (enzymes de réplication ou de transcription de l’ARN, protéases..) soit contre des molécules de la cellule indispensables à son cycle viral. C’est le sens des essais menés actuellement avec l’hydroxychloroquine contre le SARS-CoV-2 comme en d’autres temps l’artésunate contre le cytomégalovirus par exemple. L’expérience montre que le spectre d’activité des antiviraux très efficaces est en général très spécifique de leurs virus cibles et se prête mal à une utilisation élargie à d’autres virus appartenant à des familles virales différentes. Cependant, une efficacité même partielle de ces molécules pourrait être appréciable pour franchir la phase aiguë de l’infection, à condition de définir les indications optimales de ces traitement et le nombre prévisible de patients concernés.

S’il y a une urgence à soigner, il y a donc aussi une urgence à comprendre. Il importe donc d’investir sans tarder pour mesurer le nombre total de cas d’infection par tous les moyens à notre disposition. La pratique de la détection directe du virus par RT-PCR en phase aiguë de l’infection doit être intensifiée de façon prospective sur des cohortes représentatives de la population générale et des régions touchées, de façon rétrospective sur les prélèvements respiratoires pertinents conservés dans les biothèques et concernant des regroupements possibles de cas, familiaux ou autres. Le diagnostic sérologique, visant à la détection des anticorps anti-SARS-CoV-2 dans le sang des sujets immunisés, donc infectés, permet le diagnostic rétrospectif de l’infection sur de larges échantillons de population, avec là encore le recours possible à des prélèvements conservés en sérothèque. Il doit être promu dès que les tests sérologiques seront au point et validés en termes de spécificité, car ses résultats ne doivent pas être altérés par une réactivité croisée vis-à-vis des autres coronavirus humains. Cette insistance sur le développement et l’amplification du diagnostic virologique de l’infection à SARS-CoV-2 pourrait apparaître comme une curiosité futile, voire une lubie de virologue, c’est une urgence et une priorité.

L’évolution de l’épidémie est-elle imprévisible ?

Les données numériques disponibles concernant l’infection sont donc vraisemblablement sous-estimées. Cependant, elles dessinent une tendance utile pour essayer de prédire l’évolution de l’épidémie. Cette prédiction doit être envisagée dans le cadre d’une pandémie virale à transmission aérienne selon le schéma classique évoqué plus haut qui n’a pas été démontré formellement mais qu’aucun des faits observés actuels ne permet d’écarter. Si les données transmises sont avérées, l’épidémie en Chine est objectivement en phase de reflux. L’exemple de la province du Hubei, source de l’épidémie et dont la population (59 millions d’habitants) est proche de celle de la France, montre ainsi le 20 mars 2020 un bilan quasiment stable de 3099 décès et 67798 cas prouvés d’infection, le diagnostic ayant été ciblé sur les cas cliniquement évocateurs de Covid-19. Il manque évidemment des informations cruciales concernant le nombre d’infections asymptomatiques ou pauci-symptomatiques ainsi que sur l’impact possible des mesures de confinement drastiques qui ont été imposées à l’ensemble de la population chinoise exposée.

L’exemple de la Corée du Sud (52 millions d’habitants) est également instructif avec, en situation d’arrêt de l’épidémie le 20 mars, un bilan de 102 décès et 8799 infections prouvées. Ce résultat est d’autant plus intéressant qu’il a été obtenu avec des mesures de confinement beaucoup moins strictes qu’en Chine et que ce pays, c’est tout à son honneur, a décidé une politique de diagnostic spécifique élargi (environ 0,5 % de la population totale a été testé). En France (67 millions d’habitants), l’épidémie qui est probablement solidement installée depuis plusieurs semaines, va continuer à progresser et pourrait atteindre son pic dès fin mars avant de refluer en avril. Le bilan au 20 mars (450 décès, 12483 infections prouvées) annonce au final une mortalité dont l’ordre de grandeur pourrait être le millier de personnes (un ou plusieurs) et un nombre de cas graves nécessitant une hospitalisation dont l’ordre de grandeur pourrait être la dizaine de milliers de personnes (une ou plusieurs).

Il est à craindre que le nombre d’infections asymptomatiques ou paucisymptomatiques, plus élevé de plusieurs ordres de grandeur, ne reste à jamais inconnu. Du fait de la concentration des cas graves sur un court laps de temps, le système de santé va être soumis de façon certaine à une tension extrême pendant quelques semaines et nécessitera toute l’attention de la nation, beaucoup plus que les questions de fréquentation des isoloirs, des postes frontières, des parcs, des plages ou du café du coin. En effet, la gestion en peu de temps d’une surmortalité et surmorbidité anormales en fin de période hivernale peut conduire à une rupture irréversible de l’offre de soins hospitalière, à l’exemple de ce qui se passe probablement en Italie. La médecine de ville, par son expérience et ses effectifs, peut gérer l’ensemble des sujets infectés ne nécessitant pas impérativement une hospitalisation, mais il faut lui faire confiance et lui en donner les moyens. Au niveau mondial, l’épidémie pourrait se terminer à la fin mai avec le risque de rebonds à la rentrée et les années suivantes. Immédiatement, le degré d’implication de l’action sanitaire va déterminer la morbidité et la mortalité associées dans chacun des pays concernés.

Cette vision de l’épidémie serait erronée si l’on avait affaire à un virus doté d’une grande virulence et se propageant très rapidement, éventuellement par le biais de sujets hyper-transmetteurs, au sein d’une population humaine inapte à construire un rempart immunitaire collectif durant l’épidémie. Les prévisions alarmistes annonçant 500.000 décès pour un pays comme la France auraient alors leur sens. L’épidémie se prolongerait pendant plusieurs mois, avec des conséquences incalculables sur le fonctionnement des pays concernés. Les données observées ne paraissent pas cadrer avec ce scénario catastrophique, notamment en termes d’impact clinique et d’évolution locale de l’épidémie.

Cependant, les espoirs sur la fin à brève échéance de la pandémie actuelle reposent sur l’expérience passée et les analogies établies à partir de cette expérience avec la situation présente. Il faut se méfier parfois de telles analogies dans le domaine des infections virales. Au début des années 1980, beaucoup de médecins (l’auteur de ces lignes, alors interne en médecine, avoue en avoir fait partie) ont cru pendant un certain temps que l’infection à HIV-1, le virus responsable du sida, était analogue dans son évolution à celle du virus de l’hépatite B (HBV) chez l‘adulte : infection aiguë suivie d’une guérison dans environ 95% des cas ou d’une infection chronique évoluant éventuellement vers une maladie terminale dans seulement 5% des cas. Il a suffi d’une publication en 1986 pour remettre brutalement les pendules à l’heure : les trois courbes de progression de l’infection, de la maladie et de la mortalité en fonction du temps y étaient strictement parallèles, ce qui signifiait que toutes les personnes infectées par le HIV-1 allaient à terme développer la maladie et mourir. Il est probable que la vision optimiste mais fausse de l’infection à HIV-1 a contribué à affaiblir les efforts initiaux de lutte contre cette infection, notamment la prévention de sa dissémination iatrogène. HIV-1 et HBV sont résolument des virus différents. Dans le cas présent, on ne peut exclure que, s’agissant de la première pandémie à SARS-CoV-2 dans l’histoire (connue) de l’humanité, cette situation lui confère des propriétés absolument originales et imprévisibles en pratique.
Comme l’écrivait Pedro Calderón de La Barca, le pire n’est pas toujours certain.

On parle ici évidemment des virus, et non pas de la gestion politique d’une pandémie.

Henri AGUT