Comment a-t-on pu aller si vite pour mettre au point un vaccin: Brève histoire des vaccins et stratégies vaccinales anti-SARS-COV2.
Les sciences et les technologies auront permis d’aller très vite depuis le début du problème, un virus émergent causant une pandémie, au début d’une solution, le vaccin. Retour sur les connaissances scientifiques et les innovations qui ont assuré une rapidité de réponse et font entrevoir un « monde d’après » dans la lutte contre de nouvelles maladies infectieuses.
Au commencement de l’humanité et de la vie, il y avait les maladies infectieuses.
L’espérance de vie dans le monde au 21ème siècle est de 73 ans, avec toutefois de grands écarts entre les pays. Elle était proche de 40 ans au début du 19ème siècle et la plupart des gens mourraient de maladies infectieuses, liées aux famines, à la malnutrition et une hygiène insuffisante et erratique ; les maladies dégénératives (cancers, neurodégénérescences etc) ne concernaient alors que la minorité d’humains vivant suffisamment longtemps pour permettre leur développement mortifère qu’on leur connaît aujourd’hui. La part annuelle attribuable aux maladies infectieuses représente aujourd’hui environ 10 millions de morts dans le monde, dont près de 8 millions d’enfants (pneumonies, diarrhées, malaria, rougeole, SIDA). Les maladies infectieuses ont un coût particulièrement élevé dans les pays du Sud. En date du 15 décembre 2020, la Covid-19 a fait plus de 1,6 millions de morts dans le Monde.
Notre histoire est jalonnée d’épidémies et de fléaux sanitaires, qu’ils soient d’origines bactériennes ou virales, ils ont décimé des populations. Depuis la fin du 19ème siècle, l’impact des infections sur la santé a considérablement décru grâce à l’accumulation de connaissances scientifiques ayant permis le développement de l’hygiène, la vaccination et le traitement médicamenteux. Les mesures d’hygiène sont devenues plus efficaces avec la quasi-disparition de la peste et du choléra ; bien que les agents causaux ne soient pas éliminés. La vaccination a permis de protéger la population contre les épidémies virales et bactériennes avec l’éradication de la variole et la réduction considérable du tribut lié aux maladies infectieuses de l’enfant (par exemple la mortalité due à la rougeole a été réduite de 99% après 50 ans de vaccination). Les antibiotiques et plus récemment les antiviraux ont entraîné des guérisons (méningites, tuberculose, septicémie, hépatite C…) et/ou des rémissions au long court (VIH/SIDA). Tous ces progrès ont permis non seulement de limiter l’impact direct des organismes pathogènes sur les populations humaines, mais également d’éloigner les famines en protégeant animaux et plantes domestiques contre leurs agents pathogènes.
Nos sociétés occidentales, relativement à l’abri du risque infectieux, ont oublié la maladie infectieuse. Pourtant, l’histoire récente de nos familles en témoigne encore, la maladie infectieuse et la malnutrition ont touché nos parents, nos grands-parents. C’était hier. Ce virus SARS-CoV-2, agent causal de la Covid-19, et sa diffusion fulgurante planétaire vient rappeler à nos sociétés nanties ce que bon nombre de populations humaines subissent encore dans le monde. N’oublions jamais la maladie infectieuse…
L’odyssée d’un virus et la réponse immunitaire antivirale.
La caractérisation d’agents submicroscopiques capables de transmettre une maladie date de la fin du 19ème siècle, mais il faut attendre la fin des années 1930 et l’invention du microscope électronique pour observer les premiers virus.
Pour se représenter très schématiquement un virus, imaginons un litchi microscopique : sa « coque » est une structure protectrice externe plus ou moins rigide, composée de lipides et/ou de protéines, son « noyau » est composé essentiellement du matériel génétique ADN ou ARN et sa « chair », des protéines servant de support matriciel intermédiaire. Le matériel génétique ou génome est le ‘code’ du virus qui contient toutes les instructions lui permettant de fabriquer ses composants et de se reproduire à l’infini. Le décodage du génome en constituants protéiques, la « traduction », n’est possible qu’à l’intérieur d’une cellule. Cela implique qu’un virus doive obligatoirement entrer dans une cellule, dite « permissive », pour se multiplier selon un mode parasitaire strict.
Le choix de la cellule « permissive » s’effectue grâce au parfait emboîtage de « décorations » particulières ou « spicules » plus ou moins proéminentes de sa « coque » avec des « récepteurs » exposés à la surface des cellules cibles pour permettre l’attachement du virus. En effet, telle une clé dans sa serrure, ce mécanisme d’attachement sélectif ouvre l’accès à l’intérieur de la cellule dans laquelle le virus pourra libérer son matériel génétique. La cellule décode alors le génome viral en ARN messager (ARNm) et traduit les messagers viraux en protéines virales. Elle fournit aussi tous les éléments, ou briques, pour permettre au virus de recopier son génome et les lipides pour bâtir son enveloppe, l’ensemble transformant ainsi la cellule en usine à virus, parfois jusqu’à en mourir. A partir d’un virus, une cellule peut ainsi multiplier et fabriquer des milliers voire des centaines de milliers de virus qui iront à leur tour infecter d’autres cellules, puis d’autres organismes. C’est un véritable coup d’état organisé de l’intérieur en esclavageant la cellule.
Heureusement, il existe de nombreuses barrières à l’intrusion et à la multiplication virale.
Outre la défense passive représentée par les barrières physiques (la couche cornée de la peau par exemple) et « mécaniques » (l’absence du bon récepteur à la surface des cellules), il existe un premier mécanisme de défense active, l’immunité innée. Elle fait appel à plusieurs familles de détecteurs cellulaires qui vont reconnaître des motifs particuliers associés à un microbe ou un virus. Les qualités de cette immunité innée sont i) la rapidité de son déclenchement (quelques dizaines de minutes), ii) son universalité (toute cellule est équipée) et iii) son autoamplification avec protection des cellules voisines saines dans lesquelles est déclenchée l’expression d’une armada de plusieurs centaines de molécules antivirales, l’ensemble représentant la « réponse interféron ». En son absence, la réplication virale devient hors de contrôle. Cependant, seule, cette réponse interferon est rarement capable d’anéantir la propagation virale, mais le ralentissement qu’elle exerce sur la propagation virale accompagné de signaux d’activation envoyés à l’immunité adaptative permettent à celle-ci de prendre le relais afin d’annihiler le virus, souvent totalement, c’est-à-dire jusqu’à la guérison. Si l’immunité adaptative est caractérisée par sa lenteur de mise en œuvre (plusieurs jours avec atteinte d’une pleine efficacité après trois semaines), elle s’amplifie rapidement, quasi proportionnellement à la charge virale, elle s’affine et accroît son efficacité au cours du temps et surtout elle garde en mémoire les motifs spécifiques de chaque virus rencontré, « les antigènes viraux ». Cette mémoire permet à l’immunité adaptative d’être quasiment immédiatement opérationnelle en cas d’infection secondaire avec le même virus, état qui caractérise l’« être protégé », l’« être immunisé ». L’immunité adaptative comprend deux lignes de défenses complémentaires, connectées et ayant chacune une certaine autonomie d’activité antivirale, l’immunité cellulaire pilotée par les « lymphocytes T » et l’immunité humorale, sous forme d’« anticorps » baignant la circulation sanguine et affinés par le « lymphocyte B » puis produits en quantité industrielle par « le plasmocyte ». L’essentiel de la complémentarité des immunités cellulaire et humorale réside dans la capacité des cellules T à reconnaître avec une très grande sensibilité des fragments de protéines étrangères ou « peptides antigéniques » présents dans une cellule infectée et reconnus comme du non-soi et dans la capacité des anticorps à reconnaître des formes naturelles des protéines virales intactes, en particulier celle exprimée à la surface des virus, « les spicules ». Des lymphocytes T tueurs sont ainsi capables de détruire la cellule-réservoir de virus, et grâce à leur grande affinité pour « les spicules », les anticorps « neutralisent » le virus en l’empêchant de se fixer sur ses récepteurs cellulaires par compétition. Ces anticorps sont fabriqués en quelques jours (IgM) à quelques semaines (IgG). L’activation des immunités innée et adaptative s’accompagne d’une réponse inflammatoire responsable de la plupart des signes cliniques de la maladie virale (fièvre, toux, douleurs, signes grippaux, etc…) et potentiellement dangereuse en cas d’exacerbation incontrôlée. La mise en place d’une défense immunitaire « mémoire » via les lymphocytes T et B est fascinante. Ces cellules mémoire seront activées lors d’une ré-infection par le même virus, et produiront plus vite des anticorps neutralisants, nous évitant alors de tomber à nouveau malade, ou au moins, limitant les symptômes sévères. Nous sommes ainsi vaccinés naturellement. La durée de cette « mémoire immunitaire » qui dépend du pathogène s’étend sur quelques mois ou années voire à toute une vie.
Activer cette réponse mémoire en l’exposant à un agent peu ou pas pathogène est le principe de la vaccination. La réponse antivirale peut être activée par tous les éléments constituants du virus, à commencer par les composants de la surface de la particule, qui sont les premiers acteurs de l’intrusion dans les cellules. Comprendre la réponse immunitaire et sonactivation par les pathogènes a permis de faire évoluer les stratégies vaccinales.
De la vaccination aux vaccins.
“Inoculer des virus affaiblis ayant le caractère de ne jamais tuer, de donner une maladie bénigne qui préserve de la maladie mortelle.” (Pasteur). Ce principe découle d’observations empiriques faites en Chine et en Turquie dès le 16ème siècle avec la technique d’inoculation de pustules de variole bénigne pour protéger contre la variole maligne (variolisation) rationalisé par Jenner (fin du 18ème) puis nommée “vaccination” par Pasteur (fin 19ème) en utilisant un virus de la rage « atténué » par passages chez un hôte peu sensible à ce virus. Pourtant, aucun des deux n’avait jamais observé de virus ! C’était là tout leur génie scientifique. La première « expérimentation » de Pasteur sur l’Homme (un enfant de 9 ans mordu par un chien enragé) serait totalement proscrite avec l’éthique moderne, même si l’enfant semblait condamné à d’atroces souffrances induites par la rage. Pasteur a injecté à de multiples reprises le « virus atténué » de la rage à l’enfant. Constatant que l’enfant se portait bien, il lui a inoculé un virus de la rage virulent ! Heureusement, jamais l’enfant ne développa la maladie, indiquant ainsi l’efficacité du vaccin. Il fallut cependant bien des améliorations et tâtonnements avant d’obtenir bien plus tard une souche vaccinale vraiment efficace et sûre. Dès que l’on a su isoler, amplifier et purifier des virus grâce à la maîtrise de la culture cellulaire à partir du milieu du 20ème siècle, on s’est aperçu que la réponse immunitaire observée après une infection virale naturelle est généralement la plus intense et la plus efficace en matière de protection conférée, lorsqu’on la compare à un virus inactivé (par la chaleur, un rayonnement ou par traitement chimique) ou à l’injection d’une protéine (antigène) virale purifiée. La raison en est quadruple. Premièrement, comme le virus se multiplie, la quantité d’antigène disponible pour activer l’immunité adaptative s’accroît progressivement avec le temps pour devenir conséquente. Deuxièmement, les protéines virales sont produites sous une forme native dans un contexte physiologique, donc parfaites pour la sélection d’anticorps neutralisants. Troisièmement, l’immunité adaptative est activée contre toutes les protéines virales, multipliant ainsi les effecteurs cellulaires antiviraux (anticorps, lymphocytes T cytotoxiques), d’où a priori l’induction d’une mémoire complète et multiforme. Quatrièmement, l’infection virale s’accompagne d’une réponse inflammatoire qui renforce l’intensité de la réponse immunitaire (effet « adjuvant »).
Comme l’utilisation du virus pathogène sauvage est exclu, une première stratégie vaccinale consiste donc à développer des « virus atténués » qui peuvent avoir aussi l’avantage d’être délivrables par voie naturelle (orale, respiratoire). Les virus sont rendus non/peu virulents. Ces vaccins « virus atténués » sont utilisés contre la rougeole, les oreillons (vaccin ROR) et la poliomyélite. Leur réplication est leur avantage, car ils reproduisent une forme très bénigne de l’infection naturelle, leur coût de fabrication est faible et il ne nécessite pas d’adjuvant pour activer la réponse inflammatoire. De plus une seule injection (sauf dans les rares cas où le vaccin « ne prend pas ») confère une immunité protectrice longue jusqu’à plus de deux décennies. Mais, d’une part, ils ne doivent pas être utilisés en cas de déficit immunitaire grave car ils peuvent alors induire une maladie, et d’autre part, il est nécessaire de vérifier leur stabilité dans le temps afin d’éviter le risque de réversion (c’est-à-dire de retour à la pathogénicité), comme cela a été observé avec des vaccins vivants atténués oraux contre la polio. Ainsi, le développement d’un vaccin vivant atténué reste encore aujourd’hui particulièrement long et incertain. Des recherches sont en cours pour développer un vaccin vivant atténué contre la Covid-19. Il devra prouver qu’il ne peut pas se recombiner avec un virus sauvage SARS-CoV-2 au risque de générer un recombinant dangereux.
Une deuxième stratégie consiste à utiliser des « virus inactivés ». Les virus sont inactivés par un traitement chimique ou physique (température, irradiation UV). Le vaccin actuel de la rage, celui de la forme injectable du vaccin contre la polio ou certains des vaccins contre la grippe sont des virus inactivés. Sur ce principe, le vaccin anti-Covid-19 CoronaVac, de l’entreprise chinoise Sinovac est en cours d’essais cliniques. Ce vaccin utilise un adjuvant. Les avantages d’un vaccin à base de « virus inactivés » sont un faible coût et une très bonne stabilité à 4°C. Leur inconvénient est une capacité d’induction de la réponse immunitaire, ou « immunogénicité » relativement modeste ce qui oblige à multiplier les injections. De plus, leur développement reste cependant très délicat et donc long car dans certains cas, l’inactivation modifie trop la qualité de la réponse immunitaire induite avec le risque de favoriser l’infection naturelle à cause de la production d’anticorps « facilitants » comme cela a été observé un peu avant 1960 avec du virus de la rougeole inactivé chimiquement, ce qui a conduit à son abandon.
Une troisième stratégie est la fabrication par génie génétique de particules virales vidées de leur matériel génétique et donc incapables de se multiplier ou de se recombiner, les « vaccins à base de pseudo-particules virales ». Ils ont les avantages du virus atténué en termes de qualité de la réponse induite (les antigènes sont sous forme natives, donc parfaits pour induire des anticorps neutralisants, et sont multiples) avec une innocuité intrinsèque, mais leur immunogénicité est moindre avec nécessité de répéter les injections. Par contre ils sont complexes à réaliser ce qui explique pourquoi ce type de vaccin contre le SARS-CoV-2 est encore en développement pré-clinique.
Une quatrième stratégie est le « vaccin sous-unitaire ». Une protéine virale est choisie comme antigène capable d’induire une réponse neutralisante. Elle est produite par génie génétique, purifiée et mélangée à un adjuvant. Ce type de vaccin est facile à concevoir (c’est le choix fait pour la majorité des vaccins anti-Covid-19 en développement) et à produire, mais l’étape-clé d’obtention de la protéine virale de spicule sous une bonne forme « native » peut être laborieuse comme le montre le petit nombre de candidats-vaccins passés en phase I ou II d’essai clinique et le retard dans le développement du vaccin anti-Covid-19 conçu par SanofiGSK consécutif à l’observation d’une efficacité insuffisante. Une fois mis au point, un vaccin sous-unitaire partage les mêmes qualités, requis et défauts des pseudo-particules virales avec cependant l’induction d’une réponse immunitaire contre une seule protéine du virus.
Une cinquième stratégie consiste à faire fabriquer par nos cellules les protéines virales qui iront activer notre système immunitaire, exactement comme elles le feraient lors d’une infection naturelle. Il suffit simplement d’introduire le code génétique, ADN ou ARN, dans nos cellules. On s’affranchit ainsi partiellement voire complètement de la production de protéines en laboratoire dont la technologie reste lourde. Concernant le SARS-CoV-2, on utilise ainsi toute ou partie du code de la protéine Spike sous sa forme ADN ou ARN, qu’il faut ensuite véhiculer jusqu’à nos cellules qui deviendront les usines de production de l’antigène, exactement comme dans une infection naturelle.
Il existe deux moyens de véhiculer le code génétique de la protéine virale dans nos cellules, soit en utilisant la « carrosserie » d’un autre virus qui sert ainsi de taxi à l’ARN viral (directement ou via un intermédiaire ADN), « vaccins recombinants », soit une « carrosserie » synthétique à base de lipides, comme les « vésicules lipidiques» ou « liposomes » protégeant l’ARN messager, « vaccins à ARNm ». Les vésicules lipidiques serviront de véhicules aux molécules d’ARN messager codant Spike. Comme elles le feraient à partir d’ARN messagers d’un virus les infectant, nos cellules produiront ainsi cette Spike, pour les présenter à nos cellules immunitaires, sans amplifier le matériel infectieux. Diverses souches d’adénovirus sont utilisés comme carrosserie de l’ADN codant pour la protéine de Spike (vaccins des sociétés AstraZeneca-Oxford à base d’adénovirus de chimpanzé) et Gamaleya (à base de différents adénovirus humains, vaccin Sputnik V). Les « carrosseries » virus de la rougeole (souche vaccinale atténuée comme développé par Pasteur-Vaccin) et de la stomatite vésiculeuse (VSV souche atténuée) présentent l’avantage d’avoir un génome à ARN évitant ainsi l’introduction d’ADN dans nos cellules et dans le cas du premier une expérience de plus de 50 ans sur son innocuité chez l’humain et sa stabilité génétique. La technologie du « vaccin recombinant » est aujourd’hui bien maîtrisée et relativement peu chère. Un inconvénient est l’immunisation que l’on obtient également contre la « carrosserie » suite à la première injection qui peut entraîner l’élimination trop précoce par notre système immunitaire lors d’une injection de rappel, pour re-stimuler efficacement la réponse immunitaire contre la protéine virale cible.
Les « vaccins à ARNm » sont les derniers nés des vaccins grâce à une série de progrès technologiques dus en particulier à la ténacité et l’obstination de la biochimiste Katalin Kariko pendant une vingtaine d’années. En effet, il lui a fallu contourner trois écueils réputés à l’époque infranchissables : produire un ARNm qui soit stable, dépourvu de structures doublebrins reconnues par l’immunité innée et très efficacement traduit en protéine par la cellule. En effet l’ARN est très fragile et très facilement dégradé (c’est un cauchemar à manipuler !) et sa production in vitro à l’aide de polymérase purifiée de virus de bactérie (ou phages) s’accompagne d’une production d’ARN double-brin, un très puissant activateur de l’immunité innée et de l’inflammation qui amoindrit sinon abolit la traduction des ARNm dans nos cellules. Le trait de génie a été de remplacer l’un des quatre nucléotides (symbolisés par les lettres A, C, G, U) par un pseudo-nucléotide non naturel. Ces vaccins de nouvelle génération sont développés par les sociétés BioNtech-Pfizer et Moderna. La technologie du « vaccin ARNm » a moins d’une dizaine d’années (premières publications en 2014) avec des essais pour les vaccins Zika et Ebola qui ont montré d’excellentes réponses immunitaires avec induction d’une protection contre une infection virale chez l’animal. Cette stratégie a l’avantage d’être rapide à mettre en place et à produire, donnant ainsi une très grande réactivité, dès que la protéine immunisante est identifiée. Les essais cliniques de phase III contre la Covid-19 ont montré la pertinence de cette approche tant dans la rapidité de sa mise au point que dans son efficacité prometteuse.
Non, nous ne sommes pas dans de la science-fiction, il s’agit juste de Science prolongée par de la technologie qui trouve des applications en médecine… un processus somme toute classique. Comment a-t-on défini l’efficacité des candidats-vaccins ? A entendre les chiffres, on penserait à une course à l’échalote… Ces chiffres donnent de très bons indicateurs d’efficacité et de performance de ces vaccins dans toutes les classes d’âge, même s’il faudra attendre d’avoir des chiffres avec un recul de plusieurs mois et années pour en connaître l’efficacité réelle.
Évaluer l’efficacité se fait en double aveugle sur des personnes volontaires. Pour cela, on divise une cohorte de volontaires en deux groupes (de tous âges, sexe, diversifiés génétiquement etc ; plus le nombre de volontaires est grand, plus le résultat sera robuste). Un groupe reçoit le vaccin, l’autre une molécule inactive, un placebo (le soignant ne sait pas ce qu’il administre et le volontaire ne sait pas ce qu’il reçoit). Chacun repart ensuite dans sa vie et au bout de 2-3 mois, on évalue le nombre de volontaires positifs à la Covid-19 dans chaque groupe. Pour le vaccin BioNTech-Pfizer il a été testé sur 44000 volontaires dans différents pays et représentatifs de la diversité d’une population. Les résultats rendus publics montrent notamment qu’il y a eu 162 malades de la Covid dans la cohorte ayant reçu le placebo, 9 avec une forme sévère, contre 8 seulement dans celle ayant reçu le vaccin, dont une forme sévère. Le détail des résultats et l’analyse des différentes classes de volontaires (par âge, sexe, origine ethnique etc) montrent une efficacité similaire dans toutes les classes. Quant au vaccin proposé par la société AstraZeneca-Oxford, les résultats semblent plus mitigés, avec des incertitudes sur les doses efficaces et deux volontaires de la cohorte vaccinée ont développé un syndrome inflammatoire neurologique. L’ensemble des résultats a été publié dans les journaux scientifiques et sont accessibles. Ils sont aujourd’hui autorisés ou en passe de l’être au Royaume-Uni, aux Etats Unis et en Europe avec un démarrage de leurs campagnes de vaccination fin 2020-début 2021. Dans l’Union Européenne, les résultats sont soumis à une analyse critique et indépendante par l’autorité de santé européenne pour juger de l’efficacité de ces vaccins et délivrer (ou non) une autorisation de mise sur le marché en Europe.
Quid des différentes technologies et des différentes phases de vaccination ?
Sous réserve de sa validation par les autorités de santé, la technologie liposome-ARNm sera la première disponible. Toutefois, elle reste chère et impose des contraintes logistiques lourdes, comme une conservation à -80°C et une stabilité de 4-5 jours à -20°C ou 4°C ce qui limite son usage aux pays occidentaux. Ces vaccins seront en priorité proposés aux soignants et aux personnes fragiles à même de recevoir une vaccination. Viendront ensuite la seconde génération de vaccins utilisant la technique « carrosserie virale » à base d’adénovirus (AstraZeneca-Oxford) ou de virus de la rougeole (Pasteur-Vaccin), puis celle des protéines à injecter (Sanofi-GSK). Le vaccin Sputnik V (Gamaleya) n’a pas été retenu en Europe en raison de l’opacité des méthodologies utilisées pour les phases de test cliniques, et de doutes sur les analyses.
L’objectif est d’atteindre une couverture vaccinale à même de protéger l’ensemble de la population (c’est-à-dire l’immunité de groupe, soit environ 60% de la population).
Pourquoi est-on allé si vite ?
Comprendre un virus, une infection et déterminer les composants du virus qui seront les candidats-vaccins est la partie la plus longue de la recherche (5-10 ans). Ces connaissances avaient été acquises lors de la première épidémie de SARS (2001-2002). Les recherches sur un vaccin ont été abandonnées en 2006, faute de moyens alloués à la recherche (le virus ayant disparu, ces recherches ont été jugées inutiles…). Elles auront néanmoins permis de nous faire gagner ces 5-10 ans de recherche sur le développement d’un vaccin contre son cousin le SARSCoV-2. C’est une des raisons de l’extraordinaire célérité avec laquelle des vaccins ont pu arriver sur le marché, un an seulement après l’identification de la maladie Covid-19 et du virus causal, le SARS-CoV-2.
La technologie liposome-ARNm est relativement rapide à mettre en œuvre et à produire dans la mesure où l’on connaît la cible. En effet, la synthèse de gène sous forme séquences d’ADN, et plus récemment d’ARN, est une technologie couramment utilisée dans tous les laboratoires de recherche du monde.
Les subventions publiques massives et les investissements financiers importants de sociétés pharmaceutiques/industrielles ont permis de supporter les énormes coûts des tests cliniques. Ceux-ci ont été organisés en phases partiellement chevauchantes, ce qui a permis de gagner de précieux mois, et ont mobilisé des cohortes de volontaires importantes (44 000 personnes pour le test BioNtech-Pfizer). Enfin les évaluations des données par les autorités de santé ont été priorisées sur toutes les autres molécules en attente d’autorisation. Les acquis scientifiques et technologiques préalables, les ressources financières exceptionnelles et la célérité réglementaire ont ainsi permis de diviser par ~10 le temps nécessaire pour la mise au point d’un vaccin (de 8-10 ans à 10 mois).
Pour ce qui est du recul sur le vaccin à ARNm en particulier et sur tous les autres vaccins qui viendront sur le marché, seules les observations au long court (mois et années) permettront de connaître l’efficacité réelle sur toutes les catégories de population, les éventuels effets secondaires et leur fréquence et la durée de l’immunité protectrice. Cette ultime démarche n’est en rien une exception : il en est de même pour toutes les thérapies que nous utilisons et tous les nouveaux médicaments. Il nous faut vigilance garder dans la durée de nos analyses.
Si cette nouvelle stratégie s’avérait efficace dans la durée, on mesure alors la réactivité qu’elle permettrait dans la « course à l’armement » contre de prochains virus émergents. Charge à la recherche en virologie, qui représente la partie immergée de l’iceberg et qui est souvent financée par de l’argent public, d’avoir les moyens de ses ambitions. Acquérir et enrichir nos connaissances demandent beaucoup de temps et…d’argent : cette recherche-là ne peut se faire dans l’urgence. Sans être exhaustif, et en se cantonnant dans l’histoire vécue par les plus anciens, car la liste en serait trop longue, outre les progrès mentionnés plus haut, aucun vaccin n’aurait pu être développé aussi vite sans l’acquisition à partir du milieu du siècle dernier de la maîtrise de la culture cellulaire permettant d’isoler et amplifier un virus, les progrès incroyables de la génétique moléculaire (l’indispensable PCR pour n’en citer qu’une) et de la biochimie, le développement de modèles animaux pertinents des infections humaines, la création presque ex nihilo de l’immunologie avec le développement exponentiel de nos connaissances sur les réponses immunitaires et inflammatoires au niveau moléculaire, cellulaire et physiologique…etc., etc.
Y-a-t-il recherche de profit indu ?
Des voix s’élèvent déjà, criant à l’instrumentalisation par les « big-pharmas », le grand capital, le grand complot etc. (tout est « grand » et « massif » en ce moment). Oui, les « big pharmas » se feront énormément d’argent si la vaccination est efficace. Charge aux autorités sanitaires de garantir la sécurité sanitaire en exigeant l’accès aux données des laboratoires qui les développent pour pouvoir les analyser en toute indépendance, commanditer des suivis cliniques indépendant à travers les différentes agences de santé, et décider, le cas échéant, le retrait immédiat d’autorisation d’utilisation d’un vaccin qui s’avèrerait inefficace ou source d’effets indésirables. Charge également au gouvernement de négocier les prix au plus juste en rappelant l’investissement public colossal dont les entreprises ont bénéficié et qui ne doivent pas être payé deux fois par la société.
Y-a-t-il prise de risques inconsidérés ?
Il y a encore des incertitudes. Il y en a tout d’abord sur la durée de l’immunité mémoire. L’analyse des séquences génomiques complètes de plusieurs milliers d’isolats à travers le monde montre que ce virus SARS-CoV-2 mute relativement peu (contrairement au virus de la grippe). Il y a bien sûr des virus variants qui circulent dans le monde, mais aucun n’a été encore associé avec un phénotype de contagion ou de dangerosité différente. Les variants n’ont pour seul intérêt de pouvoir tracer leur dispersion géographique à travers le monde. La dominance géographique d’un variant, comme le variant européen en Europe, est probablement le résultat, non d’un accroissement intrinsèque de sa contagiosité, mais plutôt parce qu’il a bénéficié de circonstances de diffusion initiale plus favorable (par exemple au sein d’une population nombreuse en contact étroit et sans mesure barrière). Il y a aussi l’échappement possible d’un virus mutant aux vaccins. Cela peut arriver ou pas car l’expérience acquise avec d’autres vaccins montre qu’outre le cas caricatural du vaccin grippal c’est le cas avec des souches de virus polio, mais pas avec l’immuable virus de la rougeole pendant plus de 50 ans ! Si l’échappement arrive, on peut raisonnablement prédire qu’il interviendra dans un délai bien plus long que dans le cas de la grippe, sauf s’il y a des réservoirs animaux dans lesquels une sélection de variants plus éloignés immunologiquement peut survenir. Ainsi, c’est par mesure de précaution que les élevages de visons contaminés ont été éliminés. Ces animaux sont en effet très sensibles au SARS-CoV-2 et présentent un risque important de faire émerger un nouveau virus variant qui pourrait ré-infecter l’Homme, avec des conséquences inconnues sur la virulence. Il est important de rester vigilant sur les réservoirs animaux potentiels dans l’environnement.
Le SARS-CoV-2 s’éteindra-t-il comme le SARS-CoV de 2002-2003 ou deviendra-t-il saisonnier et/ou peu virulent? L’état actuel des connaissances ne permet pas encore de répondre. Oui, chez une fraction limitée de personnes vaccinées, il y a des effets secondaires aux injections de ces vaccins, comme des douleurs au point d’injection (réaction immunitaire locale), des maux de tête, voire de la fièvre ou encore une sensation de mal-être. Mais, et sous réserve d’une surveillance étroite des immenses populations qui seront vaccinées, ces maux seront surtout bénins et passagers.
Rappelons-nous la maladie infectieuse… Comme n’importe quel traitement, les vaccinations contre les virus ont leurs avantages et leurs effets secondaires. Il existe de rares cas d’effets secondaires plus graves que les maux passagers cités plus haut, mais chez une fraction infime de la population. En tout cas globalement, ces vaccinations ont sauvé incroyablement plus de vies qu’elles n’en ont ravi.
Certaines voix crient « ceux qui meurent de la Covid seraient morts de toute façon 2-3 ans après ». Ce sont en général les mêmes qui annoncent une « euthanasie » programmée des personnes âgées par les vaccins… est-ce du cynisme ou de l’inhumanité ? Sachons rester honnêtes. Et décents. Rappelons-nous que cette pandémie Covid a touché les plus fragiles, les plus pauvres dans nos sociétés, et que tous les cas graves et les victimes n’ont pas tous un âge canonique loin s’en faut.
La vie de bon nombre d’entre nous repose sur la chimie… Nous utilisons tous des médicaments, qu’ils soient nouveaux pour soigner des pathologies chroniques invalidantes ou plus anciens pour soulager un simple mal de tête ou guérir d’une infection bactérienne ou virale ou d’un cancer. Ils ne sont pas « sans risques » et nous nous exposons à leurs effets secondaires. Pourtant nous acceptons ces risques dans la mesure où nous estimons que l’avantage est supérieur au coût. C’est exactement cette question qu’il faut se poser aujourd’hui : préférons nous être cobayes du vaccin ou victimes du virus ?
Il y aura des personnes qui ne pourront pas être vaccinées car présentant des pathologies incompatibles. Des personnes âgées affaiblies parmi nos proches. Se vacciner collectivement, c’est empêcher le virus de circuler, préserver la santé des plus fragiles et préserver notre économie. Dans la vaccination contre une maladie contagieuse, chacune et chacun de nous exerce donc une double responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes et de la société. Reprenons la conclusion de Philippe Sansonetti (microbiologiste au Collège de France), citant Charles Nicolle, microbiologiste du début du 20ème siècle découvreur de l’agent responsable du typhus : « face à la maladie infectieuse, nous sommes tous frères et solidaires ; frères parce qu’un même danger nous menace ; solidaires parce que la contagion nous vient de nos semblables ».
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La Société Française de Virologie (SFV) est une société savante académique qui regroupe les composantes de la recherche en virologie. Les rédacteurs de cet article n’ont aucun conflit d’intérêt avec les entreprises citées ni avec des entreprises biomédicales.